Chroniques
LA PLUME DU FAUCON
Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.
Font-elles peur aux hommes ? Sont-elles trop exigeantes, trop dures, trop blessées ? Mais qu’est-ce qui cloche aujourd’hui pour que de plus en plus de femmes se retrouvent « sans amour fixe » alors qu’a priori, elles ont tout pour elles ?
La vie à deux, un modèle dépassé ?
C’est le grand paradoxe de notre époque. Jamais il n’y a eu autant d’outils pour communiquer et se rencontrer. Jamais, pourtant, on n’a autant compté de femmes, belles, brillantes, drôles, punchy, sexy, bref, qui ont « tout pour plaire », et se retrouvent dans un désert amoureux difficile à comprendre.
« C’est un signe des temps, remarque le sociologue Pascal Lardellier(1). Le nombre de célibataires a plus que doublé en France en trente ans, passant de 6 à 12 % de la population. Les femmes étant les premières concernées : elles sont 4,4 millions aujourd’hui contre 3 millions d’hommes. »
Certes, elles sont toujours plus nombreuses que les hommes célibataires (ceci d’ailleurs pouvant expliquer cela) mais une étude récente de l’Insitut national d’études démographiques (Ined)(2), sur les « personnes résidant seules en France », précise que si le nombre de femmes vivant seules a doublé entre 1962 et 2007, la proportion d’hommes vivant seuls a triplé. So what ? La vie à deux -serait-elle juste un modèle usé, dépassé ? Un vieux rêve devenu inadéquat ?
« L’entrée en couple de plus en plus tardive est l’un des facteurs pouvant expliquer la montée du célibat, analyse Pascal Lardellier. Notamment pour les femmes les plus diplômées qui souvent font peur aux hommes et ont, de leur côté, une attente immense et des critères impitoyables. Mais l’une des causes du célibat est aussi qu’il devient de plus en plus difficile de se rencontrer, du moins dans la vraie vie. On assiste en fait à une glaciation des rapports hommes/femmes. La drague est devenue ringarde. Dans les années 80, le monde du travail était le premier lieu de rencontres. C’est inimaginable aujourd’hui ! » C’est un vrai fait de société. On se lance aujourd’hui plus tard dans la vie à deux, avec déjà un bagage sentimental sur le dos, et des attentes précises sur le couple, « l’autre » idéal. La multiplication des réseaux de rencontres ne faisant qu’illustrer et envenimer le phénomène. Jamais le couple n’a été autant rêvé, idéalisé (devant associer l’amour, le sexe, la complicité…). Jamais non plus l’individu et l’épanouissement personnel n’ont eu autant la priorité. Les deux n’allant pas forcément ensemble.
Femmes célibataires, elles ont fait un choix
« A un moment, il faut choisir, résume Suzanne, 47 ans. Et c’est cruel. J’ai fait de longues études, puis me suis lancée dans un boulot passionnant qui me conduit aux quatre coins du monde. Le yoga et l’aïkido me prennent aussi beaucoup de temps, mais ils sont fondamentaux à mon équilibre. Avec les hommes, je n’ai jamais eu de problèmes, plutôt même des facilités. Mais je n’ai jamais trouvé le temps de me poser ni de faire des enfants. A l’âge où les autres se casaient, j’explorais les possibles. Le couple qui dure, la famille, c’était pour « quand je serai grande »… J’ai même renoncé à un homme que j’aimais profondément mais qui, lui, était plus pressé. Et dû me rendre à l’évidence, quelques années plus tard, que j’avais peut-être laissé passer ma chance. Celle de faire comme les autres, et de construire autre chose que moi-même. Il y a un cap difficile à surmonter. Je ne dis pas qu’il n’y a pas un fond d’amertume en moi. Mais cette femme hyperactive, qui n’a jamais manqué d’amis, d’amours et d’adrénaline, sans jamais supporter la routine ni su tisser une relation durable, c’est moi. J’ai choisi sans le vouloir. La suite risque d’être difficile mais je ne me projette pas. J’aurais sans doute été plus malheureuse autrement. »
C’est bien plus subtil que l’image de l’amazone triomphante. Pas une question de révolte antihomme, antifamille, anti-tout… Juste le résultat d’un difficile grand écart entre des désirs contradictoires. A une époque qui permet de choisir.
« La grosse problématique de notre époque, c’est le choix, affirme la psychanalyste Sophie Cadalen, qui a consacré tout un ouvrage à la question(3). Avant, le couple était une étape obligée pour les femmes. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus ambitieuses. L’indépendance a accru leur niveau d’exigence. »
Certes, le célibat gagne du terrain mais il a changé de visage. Mûrement consenti, cela n’a rien d’une défaite. L’angoisse de la belle trentenaire qui voit toutes ses copines se caser, et panique à l’idée de finir seule, est une réalité. Mais le cliché de la vieille fille qui cache forcément un vice de forme a vieilli.
« Il fut un temps où l’on fêtait Sainte-Catherine à 25 ans, remarque le sociologue Laurent Toulemon, coauteur de l’étude de l’Ined sur les personnes résidant seules. C’est bien fini. D’abord parce qu’on est jeune plus tard. Dans les années 60, une femme de 35 ans sans mari ni enfants était une vieille fille. Aujourd’hui, rien de perdu pour elle ! Et il n’est pas scandaleux qu’elle ait une vie affective et sexuelle épanouie. De même, on vit longtemps seul(e) désormais après une séparation, avant de se “recaser”. Ce qui était juste impossible pour les femmes, à une époque où elles n’avaient pas les moyens de vivre seule. ». Aujourd’hui une femme « sans amour fixe » n’est plus suspecte, si ce n’est surtout d’être sûre de ses désirs, exigeante.
« J’ai pas mal de copines de mon âge qui, comme moi, ne sont pas en couple, remarque Anne, 36 ans. Et qui ne sont pas pour autant des vieilles filles en attente que leur vie commence ! Elles sortent beaucoup, voyagent, font des rencontres, s’éclatent dans leur boulot… Elles ont une vie riche ! Personnellement, je refuse qu’on me juge comme une victime. Bien sûr, je suis plus heureuse quand je suis amoureuse, quand j’ai quelqu’un avec qui partager. Mais ne pas avoir d’homme régulier dans ma vie ne m’empêche ni d’avoir des histoires (des CDD très agréables !), ni de profiter du présent. J’ai trop vu de femmes de la génération de ma mère tout sacrifier pour leur mari. Ou rester par convention. J’ai la chance d’appartenir à une génération de femmes indépendantes et libres de choisir. Aujourd’hui, je suis seule parce que je n’ai pas encore rencontré celui avec lequel j’ai envie de construire sur le long terme. Je suis encore dans une période où je papillonne, je teste, j’explore. Et, parfois, je me sens bien plus épanouie que certains couples avec enfants qui n’arrivent pas à se quitter alors qu’ils n’ont plus rien à se dire…»
Plus le temps passe, plus mon armure de femme célibataire se perfectionne.
Oui, mais quand le papillonnage dure plus longtemps que prévu, parfois le doute s’installe, les peurs. Et la course à la rencontre commence. Les échecs. La culpabilité. Et c’est le cercle vicieux.
« A 20 ans, c’était moi qui avais le plus de succès dans la bande, se souvient Caroline, 34 ans. Depuis, j’enchaîne les fiascos amoureux, je ne sais pas pourquoi. Je ne peux même pas tirer de leçon de mes échecs car je ne suis pas dans un schéma de répétitions. Mes amis m’ont présenté tous leurs proches célibataires, avec lesquels, évidemment, ça n’a pas collé. Mais je ne vais quand même pas me forcer pour leur faire plaisir ? En général, c’est moi qui me lasse assez vite. Je crois que mon grand problème, c’est que je suis lucide. Et incapable de faire semblant. J’ai eu aussi quelques histoires, bien tordues, qui m’ont rendue méfiante. Désormais, je fuis les hommes qui annoncent, au bout du second rendez-vous, qu’ils ne sont pas prêts à s’engager. »
Entre ceux qui ne sont pas prêts, ceux qui en ont trop vu, les blessés, les menteurs, les lâches, les frileux… La liste est longue des « tordus » que l’on peut rencontrer quand on se balade de site en site pour trouver l’âme sœur. Les hommes de leur côté faisant le même constat, tout le monde se cherche finalement, et se méfie à la fois. Chacun(e) veut l’amour, oui, mais sous contrôle.
« Or, la rencontre, c’est forcément l’inconnu, rappelle Sophie Cadalen. S’il n’y a pas de place pour la surprise de l’autre, il n’y en a pas pour l’amour ! C’est une peur latente qui règne derrière ces exigences et qui, finalement, protège de la rencontre réelle trop déstabilisante. Je pense à bon nombre de mes patientes qui attendent l’amour désespérément et qui, lorsque ça leur arrive enfin, se plaignent d’être bousculées ! L’amour est toujours une remise en question. On le rêve souvent comme un remède alors que c’est un chaos. Auquel on n’a pas forcément envie d’être confrontée… »
Tout particulièrement quand on a déjà planté un premier couple et qu’on a enfin retrouvé une forme de paix. Sous couvert de multiplier les occasions de rencontres, il arrive alors qu’au fond de soi on fuie, de peur de retomber dans l’ornière.
« Derrière la peur de ne pas rencontrer se cache souvent celle de rencontrer, renchérit la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum(4). Ces célibataires sont souvent hantées par l’échec, ont peur de se tromper et de souffrir de nouveau… C’est un cercle très vicieux ! »
Léa raconte comment elle a quitté Marc, il y a cinq ans, parce qu’elle ne voulait pas que leur « belle histoire enlaidisse », et a plongé à cœur et corps perdu dans sa nouvelle vie de mère célibataire, savourant une liberté qu’elle avait quittée trop tôt. Mais à 43 ans, elle commence à désespérer de retomber amoureuse.
« J’ai peur de m’être endurcie, analyse-t-elle. Je continue de séduire, je plais aux hommes. Mais aucun ne se jette à l’eau. Je crois que je les impressionne, car je ne les laisse plus m’approcher. Je suis, presque malgré moi, devenue inaccessible. C’est un cercle vicieux terrible car plus le temps passe, plus mon armure de célibataire se perfectionne. Celui qui arrivera à me libérer de ma prison solitaire sera le plus courageux et vaillant ! C’est plus fort que moi, j’ai besoin d’être conquise. Et puis, surtout, je n’ai pas envie de me mettre en couple pour de mauvaises raisons. Pour rassurer mes enfants et mes parents, pour me prouver que je n’ai pas eu tort de divorcer. Peut-être aussi que je me punis d’avoir fait du mal à tout le monde… »
Rose, elle, a mis des années à cicatriser de sa grande histoire d’amour avec celui qu’elle avait pris pour « sa moitié ». A 38 ans, elle se sent « prête à vivre une belle histoire avec un homme bien. Mais je n’ai plus de coups de cœur, déplore-t-elle. Dès qu’on essaie de me séduire, je me crispe, je fais marche arrière, comme s’il y avait erreur de casting. Je crois que je me sens complètement rouillée. Que l’amour, l’inconnu me font peur et que cette trouille se communique. Les hommes qui s’aventurent vers moi finissent par abandonner quand ils sentent à quel point ça va être compliqué. »
Ce ne sont pas les psys qui vont dire le contraire. Oui, on peut s’être enfermée dans un engrenage, oui, la trouille, c’est contagieux. Cependant, oui, on peut en sortir. En se recentrant sur soi, en remontant aux sources du problème. Certainement pas pour se culpabiliser un peu plus, mais au contraire, pour sortir du rôle de victime et récupérer les rênes de sa vie amoureuse, du bout des doigts.
« La séduction, cela a à voir avec ce qu’on dégage, souligne Sylvie Tenenbaum. Si on guette, ça rate. Et si cette attente est trop précise, ça peut faire fuir ! Comme ces femmes paniquées par l’horloge biologique et qui cherchent plus un géniteur qu’un amour. Mais surtout, il y a souvent un fossé entre ce que certaines croient désirer (vivre en couple) et ce qu’elles dégagent réellement. Ça fonctionne d’inconscient en inconscient et l’autre comprend bien le message : “Je veux une relation d’amour total mais je ne veux pas sacrifier ma liberté.” » Contradiction classique. Mais d’où peut venir cette réticence à lâcher prise ? Quelle image angoissante du couple ont pu laisser les parents ou autres modèles de l’enfance ? Quelles premières fois traumatisantes ou angoisses d’abandon taraudent parfois les plus triomphantes ?
« Une attente est toujours à interroger et il faut le faire avec sincérité, conseille Sophie Cadalen. Qu’est-ce qui en soi résiste à la rencontre ? Qu’est-ce qui ne fait pas confiance en l’autre ? La question fondamentale à se poser c’est : “Est-ce que je suis prête à la rencontre ?” “Est-ce que, dans ma vie, le couple est indispensable ?” On s’aperçoit souvent qu’il n’y a pas de place pour l’autre. Certaines, malgré leur plainte d’être seules, sont inconsciemment plus heureuses dans le célibat. »
Encore faut-il en prendre conscience. Etape numéro 1 pour cesser de culpabiliser et assumer sa façon de vivre. Et - pourquoi pas ? -, se donner les moyens de changer.
1. Auteur des « Célibataires, idées reçues » (éd. Le cavalier bleu). 2. Etude de Laurent Toulemon et Sophie Pennec, parue dans « Population et Sociétés » n° 484, déc. 2011, disponible sur : www.ined.fr. 3. Auteure, avec Sophie Guillou, de « Tout pour plaire… et toujours célibataire » (éd. Albin Michel). 4. Auteure de « Cherche désespérément l’homme de ma vie » (éd. Albin Michel).
L'avis du sociologue : « Le bien-être à tout prix est en train de créer des êtres solitaires »
Marie Claire : Les femmes seules ont souvent tendance à culpabiliser. Pensez-vous que ce soit un « problème psy » ?
Jean-Claude Kaufmann* : C’est trop facile de résumer le célibat féminin à un chaos personnel. Parfois, bien sûr, il faut chercher du côté des difficultés individuelles pour comprendre ce qui fait obstacle à une vie à deux. Mais le cœur du phénomène est social ! C’est un mouvement historique. La nouvelle société est fondée sur l’autonomie, on apprend à tout maîtriser. Et l’essor de l’individualisme, de l’épanouissement personnel et du bien-être à tout prix sont en train de créer des êtres solitaires.
Qui sont ces nouvelles célibataires ?
Souvent des citadines surdiplômées. Auparavant, les femmes entraient dans la vie adulte par le mariage. Aujourd’hui, elles apprennent à construire leur monde et leur identité pendant leurs études. Et c’est souvent ensuite, seulement, qu’elles sont prêtes à ajouter un autre dans leur monde. La difficulté est d’y arriver en réussissant à ne pas s’oublier soi-même, ne pas perdre son indépendance.
Et les hommes dans tout ça ?
Ils ont peur ! Ces femmes les séduisent, mais pour un engagement sur le long terme, c’est plus compliqué. Ils sont, eux aussi, devenus plus exigeants, mais pas sur les mêmes critères. Les femmes rêvent de passion, veulent une vie de couple riche, alors qu’eux ont tendance à rechercher la tranquillité auprès d’une douce compagne.
Le couple tel que notre société le rêve n’est-il pas un idéal impossible ?
Aujourd’hui, on veut vivre à deux, oui, mais à condition de se sentir mieux que dans une vie de célibataire. On soupèse ce que l’autre pourrait nous apporter ou nous enlever. Du coup, on a énormément d’attentes. Et on est terrorisé à l’idée de se tromper. D’où la recherche de défauts aux premiers instants de la rencontre, afin de pouvoir se replier dans son cocon… En fait, un couple naît quand on ne s’y attend pas, quand on a baissé la garde. Ce qui va à l’encontre de ce qu’on nous apprend : être des gagnants, calculateurs et égoïstes. L’amour, c’est la surprise !
(*) Sociologue, auteur de « La femme seule et le prince charmant » (éd. Pocket).
Par : Alix Leduc
Sur : www.marieclaire.fr
La vie à deux, un modèle dépassé ?
C’est le grand paradoxe de notre époque. Jamais il n’y a eu autant d’outils pour communiquer et se rencontrer. Jamais, pourtant, on n’a autant compté de femmes, belles, brillantes, drôles, punchy, sexy, bref, qui ont « tout pour plaire », et se retrouvent dans un désert amoureux difficile à comprendre.
« C’est un signe des temps, remarque le sociologue Pascal Lardellier(1). Le nombre de célibataires a plus que doublé en France en trente ans, passant de 6 à 12 % de la population. Les femmes étant les premières concernées : elles sont 4,4 millions aujourd’hui contre 3 millions d’hommes. »
Certes, elles sont toujours plus nombreuses que les hommes célibataires (ceci d’ailleurs pouvant expliquer cela) mais une étude récente de l’Insitut national d’études démographiques (Ined)(2), sur les « personnes résidant seules en France », précise que si le nombre de femmes vivant seules a doublé entre 1962 et 2007, la proportion d’hommes vivant seuls a triplé. So what ? La vie à deux -serait-elle juste un modèle usé, dépassé ? Un vieux rêve devenu inadéquat ?
« L’entrée en couple de plus en plus tardive est l’un des facteurs pouvant expliquer la montée du célibat, analyse Pascal Lardellier. Notamment pour les femmes les plus diplômées qui souvent font peur aux hommes et ont, de leur côté, une attente immense et des critères impitoyables. Mais l’une des causes du célibat est aussi qu’il devient de plus en plus difficile de se rencontrer, du moins dans la vraie vie. On assiste en fait à une glaciation des rapports hommes/femmes. La drague est devenue ringarde. Dans les années 80, le monde du travail était le premier lieu de rencontres. C’est inimaginable aujourd’hui ! » C’est un vrai fait de société. On se lance aujourd’hui plus tard dans la vie à deux, avec déjà un bagage sentimental sur le dos, et des attentes précises sur le couple, « l’autre » idéal. La multiplication des réseaux de rencontres ne faisant qu’illustrer et envenimer le phénomène. Jamais le couple n’a été autant rêvé, idéalisé (devant associer l’amour, le sexe, la complicité…). Jamais non plus l’individu et l’épanouissement personnel n’ont eu autant la priorité. Les deux n’allant pas forcément ensemble.
Femmes célibataires, elles ont fait un choix
« A un moment, il faut choisir, résume Suzanne, 47 ans. Et c’est cruel. J’ai fait de longues études, puis me suis lancée dans un boulot passionnant qui me conduit aux quatre coins du monde. Le yoga et l’aïkido me prennent aussi beaucoup de temps, mais ils sont fondamentaux à mon équilibre. Avec les hommes, je n’ai jamais eu de problèmes, plutôt même des facilités. Mais je n’ai jamais trouvé le temps de me poser ni de faire des enfants. A l’âge où les autres se casaient, j’explorais les possibles. Le couple qui dure, la famille, c’était pour « quand je serai grande »… J’ai même renoncé à un homme que j’aimais profondément mais qui, lui, était plus pressé. Et dû me rendre à l’évidence, quelques années plus tard, que j’avais peut-être laissé passer ma chance. Celle de faire comme les autres, et de construire autre chose que moi-même. Il y a un cap difficile à surmonter. Je ne dis pas qu’il n’y a pas un fond d’amertume en moi. Mais cette femme hyperactive, qui n’a jamais manqué d’amis, d’amours et d’adrénaline, sans jamais supporter la routine ni su tisser une relation durable, c’est moi. J’ai choisi sans le vouloir. La suite risque d’être difficile mais je ne me projette pas. J’aurais sans doute été plus malheureuse autrement. »
C’est bien plus subtil que l’image de l’amazone triomphante. Pas une question de révolte antihomme, antifamille, anti-tout… Juste le résultat d’un difficile grand écart entre des désirs contradictoires. A une époque qui permet de choisir.
« La grosse problématique de notre époque, c’est le choix, affirme la psychanalyste Sophie Cadalen, qui a consacré tout un ouvrage à la question(3). Avant, le couple était une étape obligée pour les femmes. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus ambitieuses. L’indépendance a accru leur niveau d’exigence. »
Certes, le célibat gagne du terrain mais il a changé de visage. Mûrement consenti, cela n’a rien d’une défaite. L’angoisse de la belle trentenaire qui voit toutes ses copines se caser, et panique à l’idée de finir seule, est une réalité. Mais le cliché de la vieille fille qui cache forcément un vice de forme a vieilli.
« Il fut un temps où l’on fêtait Sainte-Catherine à 25 ans, remarque le sociologue Laurent Toulemon, coauteur de l’étude de l’Ined sur les personnes résidant seules. C’est bien fini. D’abord parce qu’on est jeune plus tard. Dans les années 60, une femme de 35 ans sans mari ni enfants était une vieille fille. Aujourd’hui, rien de perdu pour elle ! Et il n’est pas scandaleux qu’elle ait une vie affective et sexuelle épanouie. De même, on vit longtemps seul(e) désormais après une séparation, avant de se “recaser”. Ce qui était juste impossible pour les femmes, à une époque où elles n’avaient pas les moyens de vivre seule. ». Aujourd’hui une femme « sans amour fixe » n’est plus suspecte, si ce n’est surtout d’être sûre de ses désirs, exigeante.
« J’ai pas mal de copines de mon âge qui, comme moi, ne sont pas en couple, remarque Anne, 36 ans. Et qui ne sont pas pour autant des vieilles filles en attente que leur vie commence ! Elles sortent beaucoup, voyagent, font des rencontres, s’éclatent dans leur boulot… Elles ont une vie riche ! Personnellement, je refuse qu’on me juge comme une victime. Bien sûr, je suis plus heureuse quand je suis amoureuse, quand j’ai quelqu’un avec qui partager. Mais ne pas avoir d’homme régulier dans ma vie ne m’empêche ni d’avoir des histoires (des CDD très agréables !), ni de profiter du présent. J’ai trop vu de femmes de la génération de ma mère tout sacrifier pour leur mari. Ou rester par convention. J’ai la chance d’appartenir à une génération de femmes indépendantes et libres de choisir. Aujourd’hui, je suis seule parce que je n’ai pas encore rencontré celui avec lequel j’ai envie de construire sur le long terme. Je suis encore dans une période où je papillonne, je teste, j’explore. Et, parfois, je me sens bien plus épanouie que certains couples avec enfants qui n’arrivent pas à se quitter alors qu’ils n’ont plus rien à se dire…»
Plus le temps passe, plus mon armure de femme célibataire se perfectionne.
Oui, mais quand le papillonnage dure plus longtemps que prévu, parfois le doute s’installe, les peurs. Et la course à la rencontre commence. Les échecs. La culpabilité. Et c’est le cercle vicieux.
« A 20 ans, c’était moi qui avais le plus de succès dans la bande, se souvient Caroline, 34 ans. Depuis, j’enchaîne les fiascos amoureux, je ne sais pas pourquoi. Je ne peux même pas tirer de leçon de mes échecs car je ne suis pas dans un schéma de répétitions. Mes amis m’ont présenté tous leurs proches célibataires, avec lesquels, évidemment, ça n’a pas collé. Mais je ne vais quand même pas me forcer pour leur faire plaisir ? En général, c’est moi qui me lasse assez vite. Je crois que mon grand problème, c’est que je suis lucide. Et incapable de faire semblant. J’ai eu aussi quelques histoires, bien tordues, qui m’ont rendue méfiante. Désormais, je fuis les hommes qui annoncent, au bout du second rendez-vous, qu’ils ne sont pas prêts à s’engager. »
Entre ceux qui ne sont pas prêts, ceux qui en ont trop vu, les blessés, les menteurs, les lâches, les frileux… La liste est longue des « tordus » que l’on peut rencontrer quand on se balade de site en site pour trouver l’âme sœur. Les hommes de leur côté faisant le même constat, tout le monde se cherche finalement, et se méfie à la fois. Chacun(e) veut l’amour, oui, mais sous contrôle.
« Or, la rencontre, c’est forcément l’inconnu, rappelle Sophie Cadalen. S’il n’y a pas de place pour la surprise de l’autre, il n’y en a pas pour l’amour ! C’est une peur latente qui règne derrière ces exigences et qui, finalement, protège de la rencontre réelle trop déstabilisante. Je pense à bon nombre de mes patientes qui attendent l’amour désespérément et qui, lorsque ça leur arrive enfin, se plaignent d’être bousculées ! L’amour est toujours une remise en question. On le rêve souvent comme un remède alors que c’est un chaos. Auquel on n’a pas forcément envie d’être confrontée… »
Tout particulièrement quand on a déjà planté un premier couple et qu’on a enfin retrouvé une forme de paix. Sous couvert de multiplier les occasions de rencontres, il arrive alors qu’au fond de soi on fuie, de peur de retomber dans l’ornière.
« Derrière la peur de ne pas rencontrer se cache souvent celle de rencontrer, renchérit la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum(4). Ces célibataires sont souvent hantées par l’échec, ont peur de se tromper et de souffrir de nouveau… C’est un cercle très vicieux ! »
Léa raconte comment elle a quitté Marc, il y a cinq ans, parce qu’elle ne voulait pas que leur « belle histoire enlaidisse », et a plongé à cœur et corps perdu dans sa nouvelle vie de mère célibataire, savourant une liberté qu’elle avait quittée trop tôt. Mais à 43 ans, elle commence à désespérer de retomber amoureuse.
« J’ai peur de m’être endurcie, analyse-t-elle. Je continue de séduire, je plais aux hommes. Mais aucun ne se jette à l’eau. Je crois que je les impressionne, car je ne les laisse plus m’approcher. Je suis, presque malgré moi, devenue inaccessible. C’est un cercle vicieux terrible car plus le temps passe, plus mon armure de célibataire se perfectionne. Celui qui arrivera à me libérer de ma prison solitaire sera le plus courageux et vaillant ! C’est plus fort que moi, j’ai besoin d’être conquise. Et puis, surtout, je n’ai pas envie de me mettre en couple pour de mauvaises raisons. Pour rassurer mes enfants et mes parents, pour me prouver que je n’ai pas eu tort de divorcer. Peut-être aussi que je me punis d’avoir fait du mal à tout le monde… »
Rose, elle, a mis des années à cicatriser de sa grande histoire d’amour avec celui qu’elle avait pris pour « sa moitié ». A 38 ans, elle se sent « prête à vivre une belle histoire avec un homme bien. Mais je n’ai plus de coups de cœur, déplore-t-elle. Dès qu’on essaie de me séduire, je me crispe, je fais marche arrière, comme s’il y avait erreur de casting. Je crois que je me sens complètement rouillée. Que l’amour, l’inconnu me font peur et que cette trouille se communique. Les hommes qui s’aventurent vers moi finissent par abandonner quand ils sentent à quel point ça va être compliqué. »
Ce ne sont pas les psys qui vont dire le contraire. Oui, on peut s’être enfermée dans un engrenage, oui, la trouille, c’est contagieux. Cependant, oui, on peut en sortir. En se recentrant sur soi, en remontant aux sources du problème. Certainement pas pour se culpabiliser un peu plus, mais au contraire, pour sortir du rôle de victime et récupérer les rênes de sa vie amoureuse, du bout des doigts.
« La séduction, cela a à voir avec ce qu’on dégage, souligne Sylvie Tenenbaum. Si on guette, ça rate. Et si cette attente est trop précise, ça peut faire fuir ! Comme ces femmes paniquées par l’horloge biologique et qui cherchent plus un géniteur qu’un amour. Mais surtout, il y a souvent un fossé entre ce que certaines croient désirer (vivre en couple) et ce qu’elles dégagent réellement. Ça fonctionne d’inconscient en inconscient et l’autre comprend bien le message : “Je veux une relation d’amour total mais je ne veux pas sacrifier ma liberté.” » Contradiction classique. Mais d’où peut venir cette réticence à lâcher prise ? Quelle image angoissante du couple ont pu laisser les parents ou autres modèles de l’enfance ? Quelles premières fois traumatisantes ou angoisses d’abandon taraudent parfois les plus triomphantes ?
« Une attente est toujours à interroger et il faut le faire avec sincérité, conseille Sophie Cadalen. Qu’est-ce qui en soi résiste à la rencontre ? Qu’est-ce qui ne fait pas confiance en l’autre ? La question fondamentale à se poser c’est : “Est-ce que je suis prête à la rencontre ?” “Est-ce que, dans ma vie, le couple est indispensable ?” On s’aperçoit souvent qu’il n’y a pas de place pour l’autre. Certaines, malgré leur plainte d’être seules, sont inconsciemment plus heureuses dans le célibat. »
Encore faut-il en prendre conscience. Etape numéro 1 pour cesser de culpabiliser et assumer sa façon de vivre. Et - pourquoi pas ? -, se donner les moyens de changer.
1. Auteur des « Célibataires, idées reçues » (éd. Le cavalier bleu). 2. Etude de Laurent Toulemon et Sophie Pennec, parue dans « Population et Sociétés » n° 484, déc. 2011, disponible sur : www.ined.fr. 3. Auteure, avec Sophie Guillou, de « Tout pour plaire… et toujours célibataire » (éd. Albin Michel). 4. Auteure de « Cherche désespérément l’homme de ma vie » (éd. Albin Michel).
L'avis du sociologue : « Le bien-être à tout prix est en train de créer des êtres solitaires »
Marie Claire : Les femmes seules ont souvent tendance à culpabiliser. Pensez-vous que ce soit un « problème psy » ?
Jean-Claude Kaufmann* : C’est trop facile de résumer le célibat féminin à un chaos personnel. Parfois, bien sûr, il faut chercher du côté des difficultés individuelles pour comprendre ce qui fait obstacle à une vie à deux. Mais le cœur du phénomène est social ! C’est un mouvement historique. La nouvelle société est fondée sur l’autonomie, on apprend à tout maîtriser. Et l’essor de l’individualisme, de l’épanouissement personnel et du bien-être à tout prix sont en train de créer des êtres solitaires.
Qui sont ces nouvelles célibataires ?
Souvent des citadines surdiplômées. Auparavant, les femmes entraient dans la vie adulte par le mariage. Aujourd’hui, elles apprennent à construire leur monde et leur identité pendant leurs études. Et c’est souvent ensuite, seulement, qu’elles sont prêtes à ajouter un autre dans leur monde. La difficulté est d’y arriver en réussissant à ne pas s’oublier soi-même, ne pas perdre son indépendance.
Et les hommes dans tout ça ?
Ils ont peur ! Ces femmes les séduisent, mais pour un engagement sur le long terme, c’est plus compliqué. Ils sont, eux aussi, devenus plus exigeants, mais pas sur les mêmes critères. Les femmes rêvent de passion, veulent une vie de couple riche, alors qu’eux ont tendance à rechercher la tranquillité auprès d’une douce compagne.
Le couple tel que notre société le rêve n’est-il pas un idéal impossible ?
Aujourd’hui, on veut vivre à deux, oui, mais à condition de se sentir mieux que dans une vie de célibataire. On soupèse ce que l’autre pourrait nous apporter ou nous enlever. Du coup, on a énormément d’attentes. Et on est terrorisé à l’idée de se tromper. D’où la recherche de défauts aux premiers instants de la rencontre, afin de pouvoir se replier dans son cocon… En fait, un couple naît quand on ne s’y attend pas, quand on a baissé la garde. Ce qui va à l’encontre de ce qu’on nous apprend : être des gagnants, calculateurs et égoïstes. L’amour, c’est la surprise !
(*) Sociologue, auteur de « La femme seule et le prince charmant » (éd. Pocket).
Par : Alix Leduc
Sur : www.marieclaire.fr